4 de setembro de 2011

Enquanto isso, no Aeroporto Paris-Charles de Gaulle...

Enquanto esperava a conexão para Montpellier, peguei um exemplar da revista Aéroports de Paris e comecei a folheá-lo despretensiosamente, na tentativa de fazer a espera não parecer tão longa. Foi na seção Paris Inédit que me deparei com um texto formidável do escritor francês Florian Zeller, que transcrevo abaixo (é um pouco longo, mas vale a pena).

UN HOMME DE TRENTE ANS
Avec la mort de Michael Jackson, un jeune homme, tout juste trentenaire, fait le deuil de son enfance et s’interroge sur le passage à l’âge adulte.


Le jour de mes trente ans, Michael Jackson est mort. On a appris la nouvelle une heure avant le début de la fête que j’avais organisée à cette ocasion, si bien que les deux événements se sont mélangés, du moins dans mon esprit. On sonnait, j’ouvrais la porte et j’entendais pour la vingtième fois : « T’es au courant ? Michael Jackson est mort... » Puis, presque dans le même souffle : « Bon anniversaire, en fait... » Plus tard, dans la soirée, à ceux qui avaient la mauvaise idée de me demander « ce que ça me faisait d’avoir trente ans », je ne savais pas quoi répondre, sinon que cette question n’avait aucun intérêt : je n’ai pas encore l’âge de me poser des questions sur mon âge. Mais si j’essaie sincèrement de m’interroger sur ce que signifie pour moi le fait d’avoir trente ans, je penserais inévitablement à Michael Jackson. Sa disparition reste associée à la rondeur hypocrite de ce chiffre : il y a quelque chose de l’enfance qu’il faut bien laisser un jour derrière soi, et c’est peut-être précisément ça que représente Michael Jackson pour moi : une partie de mon enfance.

Je m’apprêtais à raconter la première fois que j’ai écouté sa musique, j’avais huit ans, et faire la somme de tous les souvenirs que son nom évoque pour moi. Cette somme aurait constitué, de façon un peu aléatoire, un échantillon représentatif de tout ce que l’on ne peut plus être à trente ans – étant devenu officiellement un adulte. Mais je n’en ai plus envie. À vingt ans, on a beaucoup plus de chose à vivre que de choses vécues, c’est-à-dire beaucoup moins de souvenirs que d’espérance. C’est pourquoi il est si mal vu d’être nostalgique à cet âge-là. En revanche, à trente ans, il y a cet équilibre provisoire de la balance, à supposer que tout se passe à peu près bien : autant de souvenirs que d’espérance. Autant derrière que devant. Puis, la masse des souvenirs l’emporte progressivement sur celle de l’espérance : on appelle ça vieillir. Cella doit ressembler à un transvasement presque invisible. Un jour, au bout du chemin, il n’y a plus aucune espérance, et alors la poche contenant tous les souvenirs devient extrêmement lourde ; si lourde qu’elle finit par se déchirer, et la mémoire disparaît complètement.

Puisque j’ai trente ans, je peux facilement choisir de me tourner vers mon passé ou vers mon avenir, selon ma préférence. Par exemple, je m’apprêtais à dire : à trente ans, voilà ce qu’on a perdu... Mais je me surprends à vouloir corriger : à trente ans, voilà ce qu’on n’est pas encore.

Il serait intéressant de pouvoir mettre sur le cerveau de chaque individu des électrodes qui permettraient de mesurer le temps consacré au passé, au présent et à l’avenir. Quels seraient les résultats d’une telle expérience ? Je ne serais pas surpris que trois types d’individus apparaissent très clairement : les nostalgiques (qui consacrent l’essentiel de leur pensées au passé), les jouisseurs (qui, selon la terminologie contemporaine du bien-être, vivent pleinement l’instant présent) et les angoissés (dont la plupart des rêveries sont tournées vers l’avenir). On pourrait évidemment faire des sous-catégories. Je propose par exemple de mettre « les ambitieux » sous la catégorie des angoissés, puisque c’est bien vers l’avenir qu’ils ne cessent de regarder – ce qui nous permettrait au passage de découvrir que l’angoisse est le moteur secret de l’ambition. De même, on pourrait mettre « les imbéciles » sous la catégorie des jouisseurs – ce qui laisserait suggérer que l’intelligence est avant tout l’activité qui consiste à voyager en dehors du présent.

Je découvre ainsi que « À trente ans, voilà ce qu’on n’est pas encore... » est une phrase qui renvoie à la catégorie des « angoissés », à laquelle, je suis forcé de l’admettre, j’appartiens de plus en plus. Je sais pourtant qu’il me reste un peu de temps devant moi avant d’y appartenir de façon légitime. Trente ans, ça devrait être l’âge de la jouissance... Je constate pourtant que ce n’est pas mon cas. Est-ce celui de mes amis ? Je les regarde, autour de moi, à l’occasion de cette fête organisée pour mon anniversaire. Quelqu’un a justement pensé à m’offrir un disque de Michael Jackson (c’est Élodie Navarre), et tout le monde est heureux d’entendre Beat it. À première vue, ils n’ont pas l’air très angoissés. En revanche, s’il y a une chose qui me semble commune à toutes les personnes de ma génération, c’est (un peu schématiquement) : le carnage familial. À trente ans, on fait ses premiers enfants, et l’on se sépare juste après. Je ne dis pas ça parce que je viens d’avoir un enfant, mais parce que je suis un observateur : autour de moi, je peux comptabiliser au moins quatre personnes dans cette situation. Je crois sincèrement qu’à trente ans, et pour la première fois depuis très longtemps, on ne sait plus faire d’enfants. C’est un fait sociologique majeur. À moins qu’il ne s’agisse d’une impression, il me semble que le fait d’avoir un enfant a toujours rapproché les parents et consolidé leurs liens ; pour ma génération, à l’inverse, le fait d’avoir un enfant est une condamnation presque immédiate du couple. La moyenne de mes amis est assez spectaculaire : la séparation intervient en général un an et demi après la naissance de l’enfant. Paris prend ainsi un nouveau visage : celui de jeunes femmes assises sur des bancs, seules, en train de surveiller leur enfant ; celui de jeunes pères célibataires qui hantent les trottoirs de la capitale ; celui d’une solitude un peu triste, mais résignée, qui semble s’appuyer sur une poussette, comme on le ferait avec une béquille. Est-ce qu’on est devenu trop égoïste pour supporter tout ce qu’il y a à supporter dans les premiers mois qui suivent la naissance d’un bébé ? Avons-nous complètement perdu le sens du sacrifice ? Sommes-nous désormais écrasés par la tyrannie de la jouissance ?

Si quelqu’un mettait des électrodes sur mon cerveau (du moins ce soir-là), il apparaîtrait sans doute que le futur occupe une part disproportionnée de mes pensées. Je fais tout dans le désordre. Je suis passé directement de la nostalgie anachronique (à vingt ans) à l’angoisse prématurée (à trente ans) : pourquoi ai-je bêtement sauté l’étape de la jouissance ? Je me dis parfois que ce n’est que partie remise et que ce n’est qu’une autre façon de grandir, mais dans le désordre. Je me débrouille comme je peux, je jongle maladroitement avec mes souvenirs et mes espérances. J’aurai trente ans à quarante, à moins que je les ai déjà eus à vingt ans.

(Por Florian Zeller, Aéroports de Paris – edição julho 2011. Na revista havia também a versão em inglês do texto. A quem tiver interesse, posso fotografar as páginas e enviá-las por e-mail.)

Sobre o autor: considerado pelo The Independent como “um dos mais fervilhantes talentos literários franceses", Florian Zeller teve seu primeiro romance publicado em 2002, aos 22 anos, intitulado Neiges artificielles. Ele começou, então, a escrever para o teatro. Suas peças, representadas nos maiores teatros parisienses, têm sido sucesso de público e crítica.

Nenhum comentário:

Postar um comentário

DIS-MOI !
Se tiver alguma dúvida, fique à vontade para perguntar. Responderei aqui nos comentários deste mesmo post.
Merci beaucoup !